Chantal Lamarre est une actrice, animatrice et chroniqueuse québécoise de 51 ans. Après de nombreuses fausses couches, elle est devenue mère de deux enfants à l’âge de 40 et 42 ans, avoue-t-elle, en mesurant pleinement sa chance.
Suite à notre rencontre dans les coulisses de l’émission “Médium Large” en avril 2014, j’ai voulu poursuivre notre conversation lors d’une entrevue.
1-Chantal, lors de notre discussion, vous m’avez laissé entendre que vous étiez parfois troublée par l’attitude de certains parents à l’endroit des femmes sans enfant. Pouvez-vous élaborer?
En effet, j’ai souvent constaté le manque de délicatesse de certaines mères face aux femmes sans enfant. Exhiber dans son milieu de travail ses photos de bébé sans ménagement et parler de tout ce qui entoure la procréation devrait se faire avec plus de parcimonie, de jugement, d’empathie et de respect. Selon moi, les parents devraient garder en tête qu’avoir des enfants n’est pas la réalité de tous. Parfois, certaines femmes ont vécu des fausses couches et d’autres ont fait l’expérience complexe des infertilités médicales ou sociales. Sans compter ces femmes qui font consciemment le choix de ne pas avoir d’enfant et qui ne se sentent aucunement concernées dans toutes ces discussions reliées à l’enfantement.
Il m’apparaît clair, que ce discours continuel autour de la maternité n’est pas très inclusif. C’est un dialogue entre deux protagonistes- parents qui comparent l’évolution de leurs enfants en ne tenant pas compte des autres, les femmes sans enfant, reléguées au rôle de témoin silencieux. Difficile de ne pas se sentir pris en otage dans ce type de conversation quand on est sans enfant…
2-Pourquoi croyez si important de faire preuve de délicatesse quand on aborde la question de l’enfantement?
Selon moi, chaque personne développe une relation particulière et unique face à la procréation ou à la non-maternité.
Cela constitue parfois un sujet que la femme sans enfant abordera de multiples façons: avec paix, trouble, résignation, déni, acceptation, tristesse, colère ou contentement. Il faut en tenir compte et aborder ce sujet avec délicatesse en ne prenant pas pour acquis que tout le monde a ou veut des enfants. La femme sans enfant choisira le moment et les gens opportuns avec qui elle désire en parler plus ouvertement.
Selon moi, il y a toujours une “raison valable’ qui motive ce choix ou cette réalité de non maternité. Donc, faisons attention aux questions ou commentaires du type : Ah ben! T’a pas eu d’enfant?!!! Comment ça?
3- Pour quelles raisons parle-t-on si peu des femmes sans enfant dans la société actuelle, selon vous?
Parce que nous vivons dans une société très convenue. Il est attendu que l’on fasse comme la majorité des gens: être en couple et avoir des enfants. Les célibataires et les gens sans enfant souffrent beaucoup, à mon avis, d’ostracisation . On juge facilement: ” Elle est seule depuis si longtemps, elle doit avoir un problème psychologique” ou “Elle n’a pas d’enfant, elle doit être trop égocentrique et immature pour s’occuper d’un enfant.”
Il m’apparaît capital de reconnaître et de parler de d’autres trajectoires de vie tout aussi valables : celle de ne pas avoir d’enfant est totalement acceptable.
4-Est-ce que la maternité est glorifiée, selon vous?
Absolument! Cela contribue à rendre l’acceptation de la non-maternité encore plus ardue pour les femmes sans enfant.
Avoir des enfants est considéré comme l’accomplissement personnel ultime actuellement. Toutefois, élever des enfants de nos jours est loin d’être une tâche aisée. L’enfant, devenu un prolongement de soi, s’inscrit dans une société de performance : il doit fréquenter la meilleure école et prendre des cours en tous genres pour apprendre à se développer globalement. Bien vite, il devient l’enfant- trophée du parent.
Les parents s’imposent aussi une pression de performance tant au travail, dans la famille que dans les loisirs. Puis, cette pression se transmet souvent, sans le vouloir, aux enfants victimes des horaires surchargés de leurs parents. J’ai été soufflée, dit Chantal Lamarre, par les propos d’une femme d’affaires ” super- performante “, entendus lors d’une entrevue télévisuelle: ” …Quand mon fils a eu 7 ans, je lui ai dit que maman devait retourner au travail, qu’elle avait des choses importantes à faire , et il a compris…”
Enfin je constate que la pression d’avoir des enfants est tellement présente dans la société qu’en cas d’échec à procréer naturellement , l’entourage des couples infertiles s’empresse de suggérer le noble ” plan b” au couple affecté : l’adoption internationale. Toutefois, comme en fait foi le Docteur Chicoine dans son livre L’Enfant adopté dans le monde , la route de l’adoption ne s’emprunte pas toujours sans heurts . Et encore faut-il en avoir les moyens financiers et le coeur assez solide pour l’emprunter!
5-Considerez-vous la vie sans enfant comme une vie acceptable et respectable de nos jours?
Sans hésiter! Ayant moi-même vécu quelques fausses couches, j’ai souvent pensé à la possibilité de ne peut-être pas avoir pas d’enfant.
Aussi , je suis entourée de plusieurs amies proches sans enfant. Ce sont des femmes épanouies qui se réalisent autrement. Je respecte et valorise pleinement leur choix.
6- Aimeriez-vous entendre s’élever davantage les voix des hommes sans enfant dans les médias?
Oui, vraiment! Je crois que le sujet de la vie sans enfant est encore plus tabou pour les hommes. Ils sont pourtant nombreux à ne pas être intéressés par la notion “traditionnelle ” de la famille ni par la paternité.
Toutefois, ils n’osent pas en parler ouvertement par crainte d’être jugés, à mon avis.
Et que penser également de la situation femme lesbiennes et des hommes homosexuels dont on entend encore bien peu parler dans les médias.
Merci pour ce témoignage très enrichissant
Toujours un plaisir, Artemise!
Catherine-Emmanuelle