Je suis une femme mariée de 46 ans. Mon premier souvenir de mon désir d’être mère remonte à l’âge de 12 ans. Pour moi, c’était une chose automatique qui se produisait comme par magie. Il ne m’est jamais venu à l’esprit que cela pourrait ne pas se produire. Je n’avais jamais rencontré de femme qui m’avait dit qu’elle avait essayé d’être mère et que cela n’avait pas fonctionné pour elle. Les gens ne parlent pas de ces choses-là, vous savez ? J’ai vécu ma vie avec l’idée dans un coin de ma tête qu’un jour, je deviendrais une mère. J’ai trouvé l’homme que je finirais par épouser et nous avons commencé à essayer de fonder une famille. Le temps a passé et pas de bébé. Nous sommes allés dans une clinique de fertilité pour faire des examens : ils nous ont dit que tout allait bien. Nous avons donc continué d’essayer à la maison. Toujours pas de bébé. Nous sommes retournés à la clinique de fertilité et là, tout n’allait plus bien. J’aurais aimé que mon médecin m’explique qu’attendre quelques mois seulement peut faire toute la différence pour notre fertilité. J’ai dû prendre une décision. Je n’aimais pas l’idée de mettre toutes ces hormones et ces médicaments dans mon corps, mais je n’avais pas le choix. Si je voulais avoir une chance de tomber enceinte, je devais faire une FIV. C’est ce que j’ai fait. Pendant 5 ans, des aiguilles (pauvre moi, phobique des aiguilles !), des rendez-vous chez médicaux, plusieurs tests de grossesse positifs qui se sont tous soldés par la perte de mes petits embryons… la tristesse qui m’habitait était de plus en plus grande… J’avais besoin d’aide pour surmonter ce chagrin que je ne pouvais pas gérer seule. J’ai participé à un Reignite week-end organisé par Gateway Women. Au cours de cet événement, j’ai rencontré des femmes qui, comme moi, essayaient de donner un sens à leur parcours, à leur vie et à leur héritage. Pendant l’atelier, nous devions répondre à certaines questions. Je suis tombée sur celle-ci : « Quel sera votre héritage dans ce monde ? » J’étais perplexe. Je n’avais pas de réponse. Je n’avais pas de bébé. N’est-ce pas ce que notre héritage est censé être ? Mais là encore, ma vie n’était pas non plus comme elle était censée être …. alors, j’ai commencé à voir la situation sous un autre angle. J’ai dû enlever mes lunettes roses. Cela signifiait que je devais mettre de côté ce que je pensais que ma vie devait être et la voir pour ce qu’elle était maintenant. Une vie sans enfant que je n’ai pas choisie mais que je devais réinventer pour moi-même. Qu’est-ce qui m’a motivé à faire ce changement ? Mes ancêtres. Je suis issue d’un milieu biculturel. Du côté de mon père, mon grand-père Juif est venu d’Europe de l’Est en Amérique pour échapper à l’armée russe, qui était en fait de l’esclavage. Il est venu ici pour offrir une vie meilleure à ses enfants. Du côté de ma mère, mes grands-parents catholiques étaient « pure laine », nés dans une petite ville de la province de Québec. Ma grand-mère a donné naissance à 13 enfants, sous l’œil strict de l’église, pour peupler leur propre groupe culturel minoritaire. Eux aussi ont fait tout cela pour le bien de leurs enfants. Tous ces gens, qui font partie d’un « club » spécial dont je ne fais pas partie. Tous ces gens, qui se sont battus pour leurs enfants, par leurs efforts, leur sang, leur sueur et leurs larmes, tous liés par le même sang – mon sang -, un sang que je ne contribue pas à perpétuer. C’est une pilule difficile à avaler. Je me suis sentie coupable. Je me suis sentie inadéquate. Je me suis sentie comme si je ne méritais pas ma place. Et puis, ma résilience s’est mise en marche et je me suis dit que je devais à mes grands-parents de continuer à vivre ma vie du mieux que je le pouvais, en hommage à leurs efforts. Plus de culpabilité, de se sentir inadéquate. Plus de sentiment que je n’avais pas ma place moi aussi. J’ai décidé que j’allais réinventer mon héritage, mais que ce serait à mes propres conditions. J’ai décidé, pendant cet atelier de Gateway Women, que mon héritage serait… des actes de gentillesse aléatoires. Je suis une orthophoniste travaillant avec de jeunes enfants, une profession de relation d’aide, et c’est dans ma personnalité d’aider les autres. Je suis douée pour ça. Pourquoi ne pas en faire mon héritage ? C’est donc ce que j’ai fait. De temps en temps, j’aide les gens autour de moi sans rien demander en retour. Et pendant que je les aide, je me rappelle pourquoi je fais cela. Je veux qu’on se souvienne de moi pour ces actes, certes, mais je le fais aussi pour apporter un peu de bonté à un monde qui en a tant besoin. Je le fais pour apporter de la joie à ma famille humaine, puisque je ne peux pas avoir la mienne par le sang. Lorsque nous ne pouvons pas avoir nos propres enfants, nous réalisons que le mot « famille » peut être étendu à n’importe qui, qu’il s’agisse d’un être humain ou d’un animal. Notre famille peut être composée de qui nous voulons. Nous établissons les règles. Et ces règles peuvent être ce que nous voulons. C’est pas cool ça ? Wow… J’utilise le mot « cool » en parlant de mon avenir sans enfant… Je n’ai jamais pensé que ce jour viendrait… un jour où je pourrais me sentir fière et digne de qui je suis, y compris de mon absence d’enfant. J’ai survécu. Je l’ai fait. J’ai enlevé mes lunettes roses. Je les ai rangées pour de bon. J’espère que mes Zayde, Bubbe, Grand-maman et Grand-papa me regardent d’en haut et qu’ils sentent qu’ils ont réussi. Quoi qu’il en soit, qu’ils puissent m’entendre ou non, je leur envoie un chaleureux MERCI !
Marie -Hélène Brody